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Nos médias (N°71 / 2 septembre 2008)
Nos musées médiatisent mal leur 1er dimanche du mois gratuit
Tous au Musée?
On serait en droit de se demander pourquoi la plupart des musées en Belgique ne sont pas traités comme nombre de bibliothèques publiques où la gratuité est proposée aux usagers. Ce serait parfois plus rentable car, vu que les visiteurs ne se poussent pas au portillon quand il s’agit d’y découvrir les collections permanentes, les rentrées des entrées payantes peuvent ne pas couvrir les frais d’impression des tickets et le salaire du personnel qu’il faut prévoir à l’entrée pour les vendre!
La gratuité peut rapporter
Bien sûr, lorsque la gratuité est supprimée, les musées ne sont plus des moulins et, seuls, les visiteurs réellement concernés les fréquentent, ce qui peut alléger les postes consacrés au gardiénage ainsi qu’à la réparation de dégradations.
Par contre, à ce moment-là, le développement de certaines rentrées financières connexes n’est plus au rendez-vous! La pratique montre que lorsque la gratuité est bien organisée, les revenus des shops et des restaurants se développent.
En 2003, on a constaté également que la mise en place de la gratuité dans différents musées de la Ville de Paris avait permis au public de découvrir que des expositions temporaires, elles payantes, y étaient organisées et celles-ci virent leur affluence augmenter de 36%.
Enfin, l’on pourrait restaurer la fonction du “don” vivace dans nombre d’institutions anglo-saxonnes. François Mairesse, actuel directeur du Musée Royal de Mariemont, rappelle que cette pratique, lorsque les Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles étaient gratuits, rapportèrent près de 25.000 euros par an(1). Après une visite gratuite, inviter le public à déposer son aubole dans un tron et, bien entendu, lui expliquer à quoi concrètement va servir son geste peuvent rapporter gros et surtout développer chez le visiteur une attitude volontariste, citoyenne.
On peut dès lors s’interroger valablement sur l’urgence de restaurer dans nombre de musées la gratuité car bon nombre d’entre-eux sont désertés. Les aides de l’état qui financent les infrastructures, le personnel et la conservation des œuvres sont fort importantes. Restons-en donc là si l’on considère que les musées sont principalement destinés aux chercheurs et à la promotion de ceux et celles qui les fréquentent à titre professionnel. Sinon, il ne faudrait qu’un faible effort financier complémentaire pour restaurer l’accessibilité à tous. Dans un dossier précédent publié dans le JDM daté du 14 septembre 2007, nous notions déjà que, suite à la réintroduction des entrées payantes en 1997 dans différentes institutions fédérales par le Ministre Yvan Ylieff, les entrées avaient chuté: par exemple, près de 30% de visiteurs en moins aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. La présence touristique s’y est stabilité et ce sont les visiteurs belges qui se sont fait plus rares, et surtout ceux qui venaient régulièrement découvrir l’une ou l’autre salle, l’une ou l’autre œuvre. Ce qui pose un autre problème: l’entrée payante tend à supplanter la fréquentation régulière et contemplative, celle où l’on prend son temps, au profit de visites uniques où l’on tente de tout voir en un minimum de temps pour en avoir pour son argent.
Fléchage à revoir
Bien entendu, pour tenter de faire retrouver le chemin des musées à des publics plus nombreux et diversifiés, les journées de gratuité “tous publics” ne sont qu’un moyen parmi d’autres.
Des approches complémentaires qui visent des publics spécifiques comme ceux des enfants, des étudiants, des personnes ayant un handicap ou socialement défavorisées est également à prendre en compte. Les mercredis gratuits au Musée des Arts Contemporains du Grand Hornu favorisent les visites des écoles qui peuvent éprouver de grandes difficultés à demander aux parents des participations financières. Le Wiels, Centre d’Art Contemporain situé à Forest, propose, quant à lui, chaque mercredi de 17H00 à 19H00 des nocturnes gratuites pour tenter d’attirer le public des jeunes adultes, une cible priviliégée pour le type d’expositions qu’il monte.
La gratuité est loin d’être le seul argument qui préside au choix du public. Le transport pour se rendre au musée et la possibilité de s’y parquer facilement sont essentiels. Sans voiture, il est quasi impossible de visiter le Musée de l’Orfèvrerie au Château de Seneffe ou le Musée de Mariemont. Et que penser du fait que le Ministère des Routes Wallones n’a toujours pas réalisé un fléchage correct depuis le centre de Charleroi pour aiguiller les visiteurs vers le Musée de la Photographie qui, avec sa nouvelle aile récemment inaugurée, est devenu le plus vaste ensemble muséal européen consacré à cet art parmi les plus novateurs!
Une évolution sensible?
La gratuité complète est inenvisageable en Communauté française où l’on a pris l’habitude d’argumenter sur la disette des rentrées financières à tout propos, sauf lorsqu’il s’agit de dépenser des frais de représentation ou de promotion pléthoques à Cannes ou ailleurs!
Par contre, une gratuité du “premier dimanche du mois” a été mise en place courageusement par la Ministre de la culture Fadila Laanan depuis le 1er mai 2006 dans 13 musées jouissant d’une convention: le Musée de la Tapisserie à Tournai, le Musée Juif à Bruxelles, le Musée Royal de Mariemont, le Musée de la Photographie à Charleroi, l’Espace Gallo-Romain à Ath, etc.(2).
Deux ans après, il n’est guère facile d’évaluer les résultats de cette mesure. Dans sa réponse à une question de Jean-Paul Procureur (CDH) posée au cours des travaux parlementaires du premier trimestre 2008, la Ministre a mis surtout en exergue “une évolution très sensible” à La Fonderie, le Musée du Travail et de l’Industrie de Molenbeek-Saint-Jean. La conservatrice de ce dernier, Christine Dupont, nous a détaillé les résultats précis de cette fréquentation que la Ministre n’a pas indiqué clairement aux parlementaires: chaque dimanche gratuit attire entre 15 et 35 visiteurs. Pour la Ministre, on enregistrerait en 2007 “une augmentation de plus de 1.000 visiteurs”, ce qui ferait une moyenne de 6 à 7 visiteurs en plus par musée, pour chacun des dimanches gratuits de cette année-là. Ces données sont-elles fiables lorsqu’on sait que certains musées ne distribuent même pas des tickets d’entrée aux visiteurs, ces jours-là, alors qu’ils sont intéressés financièrement parlant aux résultats de ces journées aidées par la Communauté française?
Le résultat annoncé est-il source d’espoir ou non alors que, selon une enquête de l’Observatoire des Politiques Culturelles datant de 2006, les nombreux musées en Communauté françaises attireraient une moyenne de plus ou moins une quarantaine de visiteurs (groupes inclus) par jour?
Rappel de l’Appel
Le 9 juillet 2004, dans une carte blanche signée par les sénateurs Isabelle Durant (ECOLO) et Jean-François Istasse (PS) et publiée par La Libre Belgique, on pouvait lire: “...Bien entendu, il convient de trouver une formule pour que ces dimanches gratuits ne tombent pas en désuétude après quelques mois. Un "Appel" signé récemment par nombre de représentants de la société civile et du personnel politique insiste sur le fait que chaque musée devrait mettre en évidence, lors de chaque gratuité, une œuvre différente. De la sorte, on confortera la curiosité du public et ressourcera l'intérêt des médias pour annoncer ces festivités mois après mois. Il nous semble que pareille obligation stimulerait également la créativité des conservateurs et de leur personnel...” (aller au texte intégral).
Cet “Appel” avait été signé à l’époque par plus d’une centaine de personnalités dont la jeune parlementaire anderlechtoise Fadila Laanan! Il serait donc sans doute utile qu’avant les prochaines élections de 2009, la Ministre perennise ces “dimanches gratuits” en favorisant, par cette “mise en exergue” chaque mois d’une œuvre différente, leur médiatisation réccurente, seul moyen identifié jusqu’à présent pour atteindre et récolter un public plus vaste et plus diversifié.
Cet “Appel” de 2004 préfigurait le constat que fera au Monde, le 1er novembre 2007, Neil Mc Gregor, Directeur du British Museum. Sa célèbre institution londonienne pratique la gratuité depuis 2001 avec un succès foudroyant. Néanmoins, “...Nos collections appartiennent au patrimoine de l’humanité. Les visiteurs doivent pouvoir revenir ici autant de fois qu’ils veulent. Mais je sais aussi que la gratuité n’est pas une panacée, et qu’il faut des campagnes d’éducation et de sensibilisation pour que le public veuille pénétrer dans un musée pour la première fois, même gratuitement”.
En France, du 2 janvier au 30 juin 2008, le Gouvernement a lancé une vaste expérimentation de la gratuité quotidienne pour les collections permanentes de 14 musées et monuments (Hôtel de Cluny, Musée Guimet et Musée des Arts et Métiers à Paris, Musée National de Limoges, Palais du Tau à Reims, etc.). Même si cette mesure a attiré globalement 56% de visiteurs en plus, elle reste décevante dans le fait que ce sont à peu près toujours les mêmes visiteurs qui s’y sont pressés à l’inverse de l’effet recherché. Alors que le Palais Jacques Cœur de Bourges avait, en février, enregistré une pic spectaculaire de progression de plus de 300%, il a reconduit dès juillet 2008 sa tarification avec une entrée “plein tarif” à 6,5 euros! Peu de journaux français sont revenus sur cette expérimentation après l’effet d’annonce et, surtout, mois après mois, ils n’ont pas détaillé à leur public les 1.001 chefs d’œuvres de ces multiples collections provisoirement accessibles sans bourse délier aux visiteurs. Voilà pourquoi ce n’est sans doute pas l’aspect quotidien d’une gratuité qui peut permettre aux musées de diversifier leur public, mais bien une gratuité plutôt exceptionnelle qui serait largement et régulièrement relayée par la presse écrite et audiovisuelle. La gratuité ne serait donc pas une fin mais bien un moyen pour pousser les médias à revisiter régulièrement les fonds permanents des musées dont ils font si souvent l’économie, préférant pour des raisons commerciales sans doute inconscientes se limiter au lustre des expositions temporaires car celles-ci réussissent à “faire événement”.
Même pas un A4
Qui est informé de ces “gratuités”, chez nous? Depuis mai 2006 et la conférence de presse qui lança cette nouveauté tarifaire, les médias n’ont guère rappelé de manière régulière l’existence de cette gratuité. Il est vrai qu’aucune information inédite ne leur a été fournie pour ressourcer une nouvelle médiatisation.
Ce dimanche 3 août 2008, j’ai visité le Musée du Carnaval et du Masque de Binche et j’ai adressé la plainte suivante à sa direction: “...Je suis étonné qu’aucune information sur la gratuité du premier dimanche du mois ne soit proposée au visiteur. Ceci est en contradiction avec les articles 5 et 6 du “Code de Bonne Conduite en Faveur des Usagers Culturels” (voir le Code) que vous êtes censé appliquer et que je vous remercie d’afficher dans vos locaux. Vers 15H, j’ai été accueilli par un membre de votre personnel qui, à ma question “Puis-je me procurer un ticket”, m’a répondu simplement “Que je pouvais entrer”, sans préciser que l’entrée était gratuite, ni qu’il s’agissait d’une mesure qui s’applique chaque premier dimanche du mois. Il me semble qu’expliquer simplement que l’entrée est gratuite parce que treize institutions de la Communauté française appliquent cette gratuité est une information à laquelle à droit le visiteur et qui lui permettrait de découvrir pour les mois suivants l’existence même de ce droit. Ce serait aussi une manière pour le moins non onéreuse d’être solidaire avec les autres musées qui pratiquent cette même particularité. D’autre part, ce 3 août, je n’ai vu aucune mention de cette gratuité, ni sur les panneaux informatifs accrochés aux grilles du portique de votre entrée, ni dans le hall d’accueil où se situe la caisse du musée. Enfin, sur votre site internet et sur le dépliant de présentation de votre musée, bien que cette mesure est applicable depuis plusieurs années, elle n’est pas non plus renseignée...”. En fait, la majorité des musées conventionnés semblent se contenter de se voir rembourser par la Communauté française l’équivalent des sommes des entrées non perçues des visiteurs de ces “dimanches gratuits”(3). Jusqu’à présent, aucune coordination n’a été entreprise et l’on n’a même pas songé à diffuser un simple A4 indiquant les coordonnées des 13 musées aux visiteurs des “dimaches gratuits” pour tenter de les fidéliser à cette nouvelle démarche
Pas que les musées conventionnés!
Dans tout effort d’information, la Communauté française devrait plutôt que de se limiter aux noms de ses institutions conventionnés, citer l’ensemble des musées qui sont gratuits au moins chaque premier dimanche du mois, dès qu’ils sont établis sur le territoire que couvre la Communauté française. Il faudra renseigner également des musées universitaires (le Musée de Louvain-la-Neuve, voir photos), des musées communaux tant en Wallonie (ceux de Verviers, de Liège, de La Louvière, etc., voir photos) qu’à Bruxelles (le Musée d’Ixelles, le Wiels), et même certains musées fédéraux gratuits tous les jours (le Musée de l’Armée, le Musée Antoine Wiertz, le Musée Constatin Meunier (voir photos), ces deux derniers uniquement sur réservation préalable). La simple énumération de ces lieux multiples et réputés rendra l’initiative dominicale médiatiquement incontournable, ce qui profitera particulièrement aux plus petites entitées qui n’arrivent généralement pas à jouer toutes seules dans la cour des grands médias.
500 visiteurs au lieu de 50
Le dimanche 2 mars 2008, le Musée d’Ixelles fêtait le troisième anniversaire de la mise en place de sa gratuité. Pour cet anniversaire, le Musée proposa une “mise en exergue” assez exceptionnelle en sortant de ses réserves une quinzaine d’oeuvres rarement exposées de Privat Livemont, un affichiste Schaerbeekois de la “Belle époque” dans la lignée d’un Mucha (voir photos). Alors que le premier dimanche gratuit attire à Ixelles normalement une cinquantaine de visiteurs, cette présentation festive concernera près de 500 personnes.
Il est vrai que le public avait été convié à assister à cet événement par Consoloisirs.be, le site internet qui guerroie pour l’avènement de ces “premiers dimanches gratuits” depuis début 2003. Craignant que cet acquis culturel passe à la trappe, par manque de succès dû à sa non médiatisation, il décida de prouver que si le public connaissait ce nouveau droit et si celui-ci lui était présenté de manière plus festive, il réagirait beaucoup plus positivement.
Grâce à sa newsletter mensuelle qui touche près de 5.000 destinataires(4) et différentes retombées dans les médias traditionnels, il invite depuis février 2008, à la découverte d’un musée gratuit différent, chaque premier dimanche du mois, à 14H15. L’activité se clôture par le verre de l’amitié (qui, lui n’est pas gratuit). Un reportage photographique est réalisé lors de la visite et est rapidement accessible sur ce site avec un compte-rendu. Tout ceci s’organise bénévolement et sans subside.
Le premier essai se déroula à La Fonderie: ce n’est pas 15 ou 35 visiteurs comme c’est le cas lors des autres dimanches gratuits mais bien près de 150 qui affluèrent au discret Musée molenbeekois (voir photos). Les conservateurs des cinq premières institutions visitées entre février et juin 2008 furent enchantés par cette initiative et celle-ci a séduit un public souvent beaucoup plus vaste et plus diversifié qu’à l’accoutumée. La suite de cette aventure est annoncée pour ce 5 octobre (voir texte plus bas). Puisse la Ministre Laanan en tirer enseignement. Sans une médiatisation soutenue, la population peut difficilement faire sienne un nouvel acquis social ou/et culturel.
Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be
(1) Le droit d’entrer au musée, 2005, Editions Labor.
(2) La Ministre Laanan a également mis en place depuis septembre 2006 pour ces musées des mesures rendant leur accès tous les jours gratuit aux groupes scolaires, de jeunes, etc.
(3) Selon Le Soir du 23/08/2006: “En 2006, 300.000 euros ont notamment été déboursés pour financer cette mesure”.
(4) Pour la recevoir, envoyez vos coordonnées à bernard.hennebert@consoloisirs.be
Envolez-vous avec Georges Pradez!
C’est le 5 octobre prochain à 14H15 que reprennent, chaque premier dimanche du mois, les visites d’un musée gratuit avec Consoloisirs.
Passionné depuis son enfance par l’aviation, Georges Pradez, l’ancien animateur de la RTBF (Magazine F, Big Palou, etc.), est également conseiller technique au Brussels Air Museum Foundation. Il proposera une visite guidée “à sa façon” de la section “Aviation” du Musée de l’Armée du Cinquantenaire à Bruxelles. Pradez a interviewé les plus grands pilotes. Il a voyagé dans un nombre incroyable d’avions anciens ou actuels. Il connaît les évolutions techniques de ces machines qui nous transportent dans les airs et surtout, il sait les raconter. Il a conscience également que pendant les guerres, les avions larguent des bombes mais il affirme que ce moyen de transport a contribué au fil du temps à sauver davantage de vies humaines qu’à en anéantir.
Une vaste nef de verre et de fer
Depuis sa construction en 1880, le Grand Hall, une vaste nef de verre et de fer qui abrite cette collection, n’a jamais été restauré en profondeur. Grégory De Smet, attaché scientifiquement au Musée, fera également au cours de cet après-midi un exposé expliquant comment s’envisage son futur réaménagement. Enfin, avant de boire le verre de l’amitié , les participants pourront découvrir l’un des plus beaux panoramas de Bruxelles en se promenant au sommet des arcades du Cinquantenaire.
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