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Bernard Hennebert est l’invité de “Contrechamp” sur toute la page 8 du quotidien suisse “Le Courrier”, le 19 juin 2008.


CULTURE - Spectacles, médias, loisirs... Le public a un contre-pouvoir culturel à construire, plaide Bernard Hennebert. Militant pour les droits des usagers “du temps libre”, ce journaliste belge fut l'un des initiateurs du Code de respect des usages culturels, en vigueur depuis deux ans dans le Plat Pays.

Spectateurs: un “contre-pouvoir” culturel à bâtir

Par Bernard Hennebert
Chroniqueur à l'hebdomadaire belge Le Journal du Mardi, Bernard Hennebert est le fondateur de l'Association des téléspectateurs actifs et coordinateur du site consoloisirs.be. Dernier livre paru: Il faut sauver la RTBF, Editions Couleur Livres, 2008.

C’est une piste simplissime. Mais pire que contestée ou censurée, elle n’est pratiquement jamais évoquée alors qu’elle constituerait à moyen terme l’un des boucliers pour s’opposer à une marchandisation de plus en plus généralisée de la création: favoriser l’émergence du “contre-pouvoir” des usagers culturels.

Alors que la culture se gère de plus en plus comme un produit, ce secteur d’activité ne garantit au public quasi aucune des protections conquises par le consumérisme traditionnel. Les lois qui organisent les relations commerciales entre producteurs et clients ne sont guère appliquées depuis des lustres, ni adaptées à ce secteur particulier de la vie économique, sans doute parce qu’il concerne principalement la matérialisation et la diffusion d’expressions qui “recèlent un supplément d’âme”.

Soyons assuré que la diversité culturelle serait mieux respectée ou que l’Etat ne tenterait pas autant de se désengager financièrement des matières artistiques s’il existait des associations d’envergure d’acheteurs de tickets de spectacles, de visiteurs de musées ou de librairies, de fans de ciné, de collectionneurs de CD ou de DVD...

Si celles-ci se battaient, par exemple, pour que la prévente des concerts ne puisse légalement commencer pour cause de concurrence déloyale plus de 6 mois avant leur déroulement, le public n’achèterait plus ses places 18 mois à l’avance aux organisateurs d’une tournée de Mylène Farmer (pire qu’un précédent record des réservations pour Charles Aznavour) et, en cas d’annulation, les représentants de la “libertine” devraient restituer aux spectateurs, outre le prix des places, les frais d’ouverture de dossier ainsi que les intérêts bancaires que ces sommes ont engrangés. Le choix du public pourrait ainsi se renforcer car une majorité d’artistes et d’organisateurs auraient la possibilité matérielle d’annoncer leurs dates en même temps que ces stars!

L’absence d’associations d’usagers culturels ne provient pas du fait que les problèmes que le public affronterait dans ce secteur seraient quasi insignifiants. Ils sont légions: son tonitruant pendant la diffusion de pubs dans les salles de ciné, éclairages laissant à désirer ou foules compactes de visiteurs dans certaines expos, changements de programme non annoncés au moment de l’achat des places, etc.

Le plus souvent indiqués en petit au dos des tickets, certains textes léoniens symbolisent la toute puissance unilatérale de l’organisateur: “La direction peut être amenée à modifier les programmes ou les distributions. Dans ce cas, les billets ne seront ni échangés, ni remboursés”. Ou “Si le spectacle doit être interrompu au-delà de la moitié de sa durée, le présent billet ne sera pas remboursé”. Ou encore “Si la date du concert est modifiée, ce ticket reste valable. Il ne vous sera remboursé, à moins que le concert ait lieu plus de 30 jours après la date prévue”(1).

Évitons bien sûr les jugements de valeur! Par exemple, à propos des bandes orchestrales utilisées sur scène mais on peut constater que la promo de nombre de comédies musicales omet d’informer qu’elles y ont recours. Il s’agit pourtant d’une de ces indications qui peuvent influencer le choix du spectateur. Pour présenter une activité culturelle, on surmédiatise souvent les “édulcorants” valorisants mais les “colorants” sont occultés. On est loin de l’étiquette d’une boîte de petits pois ou de la posologie exaustive des médicaments! Parfois la présentation est même implicitement mensongère. Pour une rétrospective Magritte, les Musées des Beaux-Arts de Bruxelles avaient choisi comme emblème pour l’affiche et la couverture du catalogue la toile “Le château des Pyrennées”. Ces organisateurs savaient pertinemment bien qu’ils devraient restituer à mi-parcours de l’expo cette œuvre au “Israël Museum”! Même le dépliant ne mentionnait pas ce fait.

Ainsi, les règles appliquées dans la diffusion culturelle sont floues, de même que les droits des usagers. En cas de contestation, ceux-ci sont souvent perdants car ils ne vont pas recourir aux services d’un avocat. Nombre d’organisateurs le savent et ne répondent même pas à leurs courriers. Autant de raisons qui expliquent l’absence d’agents consuméristes forts dans ce secteur. À la limite, quand des usagers y deviennent actifs, ils sont poussés par une sorte de “mythification” de l’artiste et vont défendre les intérêts des créateurs, ce qui est bien sûr positif mais incomplet puisque, du même coup, ils négligeront leurs propres intérêts.

En Belgique, depuis deux ans déjà, de nombreux organismes culturels francophones subventionnés appliquent à la demande de la Ministre de la Culture Fadila Laanan un “Code de respect des Usagers Culturels” élaboré pendant près d’un an par une commission mixte composée d’acteurs culturels et d’associations de consommateurs(2).

Ce texte indique notamment de manière détaillée quelles sont les informations auxquelles le public a droit avant d’acheter un “produit” culturel, l’obligation d’indiquer de manière exhaustive les réductions, de ne pas pratiquer la surréservation, etc. Les organisateurs doivent populariser l’existence de ce “Code” et sont obligés de répondre dans les 30 jours et “de manière circonstanciée” aux plaintes. Des sanctions sont prévues en cas de manquement à cette réglementation.

Voilà un premier pas qui peut transformer l’usager en acteur de la vie culturelle. Les belges ont repris à la France l’usage de la “signalétique jeunesse”(3). Pourquoi, dans un premier temps, les autres pays ou régions francophones ne s’inspiraient-ils pas de ce “Code” pour construire avec leurs voisins l’ossature d’un début de “contre-pouvoir” face à cette emprise de plus en plus économique d’un secteur d’activités qui devrait rester simplement humain et créatif?

(1) Ce texte fut utilisé en France et en Belgique par des festivals estivaux qui attirent des touristes... qui ne séjourneront pas une trentaine de jours sur place!
(2) Pour l’énoncé de cette vingtaine d’exigences: www.consoloisirs.be
(3) Les pictogrammes qui indiquent le degré de violence des programmes télévisés.


Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be



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