|
Carte blanche parue dans La Libre Belgique du 22 juillet 2003 Pour des associations dusagers des musiquesCertes, la musique peut adoucir les murs mais, globalement, la tambouille dégage une toute autre odeur en coulisse. Les artistes sont de plus en plus dépendants des industriels qui ont même progressivement inversé le fonctionnement musical. Autrefois, les chanteurs débutaient auprès du public dans de petites salles. Le succès aidant, ils enregistraient des disques qui étaient diffusés dans les médias. Petit à petit, leur carrière se développait et des tournées dans des salles plus importantes pouvaient senvisager. Aujourdhui, lacte premier est très souvent lenregistrement discographique et les concerts senvisagent davantage comme un moyen pour promotionner celui-ci. Le public qui assistait naguère à la naissance des talents se retrouve donc désormais à la fin de parcours, sans possibilité de choix sinon celui dentériner ceux qui sont assénés par les industriels. Ces derniers ont dailleurs créé, sans réaction du monde politique, des liens de plus en plus incestueux avec les médias les plus puissants qui promotionnent outrancièrement et quasi-exclusivement les morceaux au sort desquels ils sont associés financièrement. Cette pratique est aujourdhui banalisée alors que, naguère, était contesté son embryon qui permit notamment à Europe 1, au début des années '80, de matraquer un Richard Clayderman. La musique, lorsquelle parvient au vaste public(1), est-elle moyen dexpression ou objet de consommation? La mémoire de lévolution des pratiques dans le secteur culturel est peu pratiquée. Il est vrai que le public a été cantonné dans une attitude mythifiante et donc ne semble sintéresser quasi exclusivement quà la vie privée des stars ainsi quà leurs actualités musicales. Or, pour favoriser une évolution en faveur du bien commun, il me semble indispensable de savoir doù on vient et où lon va. Ainsi, pour protéger les acquis actuels des Francofolies, il serait sans doute utile de rappeler certaines critiques faites au festival qui le précéda. Il y a tout juste trente ans, jécrivais dans plusieurs journaux que le Festival de la Chanson Française de Spa était très peu implanté dans la population de la localité où il se déroulait: "cest le week-end du show-business et non celui des Spadois". Un communiqué de presse diffusé par la maison de jeunes de la ville des curistes allait dans ce sens. Les artistes belges, quant à eux, ny étaient pas toujours traités de la même manière que les autres chanteurs de la Francophonie. À François Torrès qui sétonnait davoir reçu un cachet trois fois inférieur à celui de ses collègues, il fut répondu: "Noublie pas que ta prestation sera filmée par la télévision". Et un autre belge, Jean-Luc Debattice, dexpliquer que lorsquil avait interprété sur scène la chanson qui lui avait permis de remporter le Grand Prix du Festival, "le clan du show-business français scandait dans la salle des slogans racistes". À Spa, ces faits paraîtront aujourdhui surannés et ceci démontre le chemin heureusement parcouru. Mais dautres "pratiques" musicales posent actuellement problème et, donc, leur divulgation reste salutaire. Le fait quun organisateur américain (Clearchannel) chapeaute pratiquement lorganisation de la plupart des tournées rock est problématique et peut mener à des hausses de prix injustifiées des places. Globalement, davantage de disques sont enregistrés mais les radios diffusent de plus en plus souvent les mêmes titres et, ce qui me semble aberrant, le Service public RTBF sacrifie aux "play-list" (ce nest plus lanimateur qui choisit les titres pour son émission mais une liste de morceaux est imposée à toute la station). Enfin, les usagers sont particulièrement maltraités! Les préventes de concerts commencent de plus en plus tôt (plus de 16 mois). Ainsi, on sait mieux jauger et donc, faute de réservations suffisantes, les annulations et les reports pleuvent. Lindustrie confond, pour les supports sonores, piratage et copies privées, alors que ces dernières sont un droit que le public paie cher puisque des redevances sont perçues (et viennent même dêtre doublées!) en guise de dédommagement financier. Charles Picqué en tant que Ministre de léconomie mécrivait récemment pour mindiquer quil estimait utile quà lavenir lon sinquiète de découvrir "dans quelle mesure les principes généraux de protection du consommateur sont respectés" dans le secteur culturel. Pour favoriser la naissance dun contre-pouvoir consumériste face aux influences commerciales toujours plus prégnantes, le public devrait être sensibilisé à ces multiples enjeux. Il me semble dès lors évident que les médias de masse doivent retrouver davantage de liberté éditoriale et mener un travail dinvestigation plus soutenu qui muterait les "fans" en usagers critiques et responsables... et, toujours, amateurs de musiques. La concrétisation de cette utopie aura un coût mais peut-on encore invoquer la crise économique alors que des subventions directes ou/et indirectes furent octroyées à certains méga-concerts donnés en France par Johnny Hallyday? Bernard Hennebert (1) Il existe bien entendu des contre-exemples dans la création alternative mais celle-ci touche rarement le public populaire. |
|||
Haut de page |