Rubrique "À l'écoute des usagers du temps libre" de Bernard Hennebert
N°32 | Pour une consommation culturelle citoyenne!
Le Ligueur du 7 mai 2003
Le Ministre Charles Picqué gère différentes matières économiques ainsi que la recherche scientifique. À la veille des élections fédérales, nous lavons questionné à propos des intérêts des usagers de la culture et des médias.
Dentrée de jeu, le Ministre précise que les biens culturels ne peuvent pas être traités selon la simple logique de loffre et de la demande. Il revendique donc lapplication de lexception culturelle car la culture doit baigner dans la diversité et laccessibilité: "Lanesthésie des esprits et le poids du marketing conduisent à une uniformisation et à une standardisation. Il faut donc établir entre le politique et le culturel une complicité nécessaire à la démocratie, un rapport différent de celui établi avec le secteur économique qui, lui, nest basé que sur la productivité".
Prix unique pour livres et disques
Charles Picqué espère que le prix unique du livre sera adopté lors de la prochaine législature. Sinon, il craint pour la survie des librairies et des éditeurs au service duvres plus spécialisées. Dans un premier temps, le maintien de lactuelle liberté des prix permettrait aux grandes surfaces de pratiquer des tarifs réduits sur les best-sellers. Cette situation rendrait difficile la survie économique des librairies. Avec leur disparition, se constituerait un monopole des plus grands diffuseurs. Dans un deuxième temps, libre à eux daugmenter unilatéralement les prix! Ce scénario supprime à la fois le vrai choix et les bonnes affaires.
Mais pourquoi Test-Achats soppose au prix unique du livre? M.Picqué explique: "Cette association adopte une attitude qui ignore la spécificité du produit culturel. À mon sens, il manque un interlocuteur lorsquil sagit de délibérer de la promotion de la culture. Celui-ci nexiste pas actuellement car je pense que la société civile a insuffisamment pris conscience dune stratégie nécessaire à mener pour la défense de la culture".
Et pourquoi ne pas opter également pour le prix unique des CD? "Il est possible quon évolue dans ce sens-là. Sil y a exception culturelle, elle doit valoir pour lensemble des produits culturels" nous déclare le Ministre.
Pour clore ce double chapitre, notre interlocuteur dénonce la "tabelle" des livres français(1) et prône une baisse de la TVA du disque. Par rapport à la première, il affirme que des contacts sont pris actuellement pour la faire disparaître: "La tabelle, cest une grande honte! Cest aussi scandaleux pour le consommateur que les virements transfrontaliers après le passage à leuro". Quant à la seconde, elle se justifie car: "Il faut aller dans le sens dune réduction de la taxation des produits culturels puisque la promotion de la culture constitue un enjeu de société. Au lieu de pratiquer une baisse uniforme de limpôt des sociétés, il faut moduler lévolution de la fiscalité en fonction dobjectifs généraux."
Le double!
Dans le cercle familial, chacun peut copier légalement à des fins non lucratives autant de fois quil le souhaite CD, films, etc. Et alors, comment les créateurs et leurs producteurs gagnent-ils leur vie? Une taxe sur les supports sonores (cassettes vierges audio ou vidéo, CD-rom, etc.) est prélevée. Les montants de celle-ci, sous lactuelle législature, ont carrément doublés! Le Ministre sexplique: "Ces montants nont pas été indexés depuis 1996(2). Plusieurs pays voisins pratiquaient des perceptions plus élevées que les nôtres. Ici aussi, il sagit de promouvoir la création. Un nouvel accord de coopération entre les différentes Communautés prévoit que 30% de ces rentrées financeront la promotion de la création duvres sonores et audiovisuelles. Le politique doit trouver un point déquilibre entre les intérêts des consommateurs et le point de vue économique!".
Mais les usagers culturels sont, cest un euphémisme, mal représentés. M.Picqué le reconnait: "Si lon veut mener aujourdhui une politique culturelle qui serait susceptible de prendre en compte lensemble des intérêts, on trouvera facilement le lobby des créateurs ainsi que celui des producteurs et des diffuseurs mais les consommateurs manqueront à table! Je pense donc quil faut promouvoir une sorte de citoyenneté consumériste culturelle".
En effet! Non contente dengranger un doublement de la taxe sur les supports sonores et de culpabiliser les consommateurs en confondant continuellement copie privée (légale et donc à conseiller) et piratage (copier pour revendre à des tiers), lindustrie développe désormais des dispositifs qui brident la copie privée! Il devient parfois impossible découter un CD dans sa voiture, de le lire sur un PC ou de le transférer sur un baladeur numérique! Faudra-t-il continuer à payer cette taxe lorsquon ne pourra plus dupliquer? Le Ministre semble favorable au développement de technologies qui empêcheraient le public de copier: "On pourrait alors négocier une baisse de la taxe des supports sonores". Hélas, M.Picqué nutilise pas le mot "suppression"...
Quelle "carte cinéma"?
Les "ciné-marchés" (les grands complexes), eux aussi, risquent daugmenter les prix à leur guise si les petites salles disparaissaient. Or, les multiplexes monopolisent de plus en plus les places achetés par le public: 68% en 1998, 73% en 1999... Larrivée de la carte illimitée UGC risque daccentuer cette tendance. "On est dans la phase préalable au monopole" estime le Ministre qui propose de reprendre en Belgique la solution qui sera probablement en application dès cet été en France: les détenteurs de la carte pourraient également lutiliser dans les autres petites salles situées à proximité: "Les frais et les risques de la carte seraient répartis entre les co-contractants. Les petites salles et les multiplexes seraient ainsi associés et cette solution aurait le mérite de permettre au consommateur de choisir la salle où il souhaite bénéficier de labonnement, ce qui rétablirait léquilibre nécessaire à la survie de lensemble de la chaîne".
Fréquentation des musées
M.Picqué veut absolument élargir la palette des visiteurs des musées fédéraux. Proportionnellement, le public aisé et universitaire y est pléthorique. Alors, est-ce la bonne solution que dorganiser la journée de gratuité, le premier mercredi du mois après 13H alors que nombre de visiteurs potentiels ne sont pas disponibles? Pourquoi pas le premier dimanche du mois?(3) Le Ministre: "Le débat est ouvert. Lidée mérite dêtre explorée". Lorsque nous expliquons à notre interlocuteur que certains musées se font tirer loreille pour annoncer clairement ces gratuités ou les diverses réductions octroyées(4), il convient quil sagit bien dun problème de communication mais, selon lui, lavenir sannonce prometteur: "Les responsables des musées commencent à percevoir autrement leur rôle. Les musées fédéraux sont aussi des lieux de recherche pour les scientifiques. Ceux-ci doivent sortir de leur isolement et comprendre que le marketing nest pas en contradiction avec la haute idée de leur mission! Ils commencent dailleurs à comprendre que le visiteur est lallié le plus précieux de leur propre survie!". Et que faire quand certains conservateurs ne prennent même pas la peine daccuser réception des courriers du public? En guise de réponse, M.Picqué fait cette proposition qui conclut notre entretien: " Les musées auraient intérêt à élargir le principe des associations des Amis du musée qui ne rassemblent actuellement que des collectionneurs, danciens fonctionnaires et des sponsors. Il faudrait y adjoindre de simples visiteurs. Ainsi, pourrait se renforcer une consultation et une participation du public à la définition de la gestion et des objectifs des musées. Pourquoi ces associations ne pourraient-elles pas devenir un ferment de médiation informelle entre le public et lautorité?"
La majorité des propositions de Charles Picqué nous semblent profitables aux usagers. Dommage que leur mise en place reste dépendante de la prochaine législature! Il est vrai que le thème de la carte cinéma nest nest apparu chez nous que récemment.
Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be
(1) Le supplément quil faut payer en Belgique par rapport au prix affiché en euros sur les couvertures des livres français.
(2) Laugmentation est pourtant plus importante que cette indexation!
(3) Voir chronique N°25 du 26 mars 2003.
(4) Voir chronique N°07 du 16 octobre 2002.
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