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Nos médias (N°67 / 6 mai 2008)
Marc Janssen, nouveau patron du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA):
"Le devoir d'entendre les citoyens"
Texte intégral de l'entretien
Le temps qu'il se plonge dans ses nouveaux dossiers et ses multiples réunions, nous avons attendu quelques mois pour interviewer Marc Janssen, le nouveau président du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA).
Nous l'avons fait par écrit pour qu'il puisse encore mieux nuancer ses réponses. Nous n'avons pas tenté de le piéger tout comme nous ne commenterons pas aujourd'hui ses réponses. Et vivement que le "Journal du Mardi" retrouve son rythme hebdomadaire pour que nous puissions revenir plus régulièrement de manière critique sur les diverses initiatives et décisions du CSA!
Quand et pourquoi avez-vous eu envie de vous porter candidat pour devenir le président du CSA? Quels étapes particulières de votre parcours vous y ont préparé?
Quand j'ai présenté ma candidature, c'est mon intérêt marqué pour le secteur et la mission de service public de l'institution qui m'ont motivé. J'ai étudié la communication, j'ai siégé deux ans et demi au Conseil d'administration de la RTBF et, durant mon doctorat à l'étranger, j'ai baigné pour des raisons personnelles dans le monde de l'audiovisuel professionnel. Cette candidature constituait surtout une prolongation intéressante de mon parcours personnel: j'ai travaillé dans les années ‘90 en politique, notamment dans le secteur des télécommunications en pleine mutation technologique et réglementaire. J'ai été un témoin privilégié et actif de l'émergence des grands enjeux de la régulation. Depuis, ma carrière a été essentiellement académique: si mes matières de recherche portaient essentiellement sur le droit constitutionnel américain et l'évolution historique du pouvoir exécutif et administratif aux Etats-Unis, ma préoccupation a toujours été d'étudier les modalités de l'intervention publique au sein d'un monde politique complexe. Cela dit, la vie réserve souvent des surprises: j'ai enseigné l'évolution de la jurisprudence de la Cour Suprême en matière de "lutte contre l'obscénité" et je me suis retrouvé très récemment à rédiger une décision du CSA tentant de préciser la différence entre érotisme et pornographie!
Maintenant que vous exercez cette fonction depuis près de 6 mois, déchantez-vous un peu au vu de la complexité du travail à mener ou au contraire considérez-vous que cette fonction vous va comme un gant?
Très honnêtement, je ne cesse de me réjouir de la chance et du bonheur que j'ai à exercer cette fonction passionnante. Tant pis pour les clichés, c'est comme cela. Si je croyais en Dieu, je saurais qui remercier; à défaut, je tente de remercier, implicitement ou explicitement, tous ceux qui ont fait et font aujourd'hui de cette institution ce qu'elle est. Le CSA est une équipe relativement petite, composée de fortes personnalités, passionnées par leur boulot et conscientes de l'importance et du sens de leur travail.
Bien sûr, c'est un secteur complexe, où les considérations culturelles, économiques et politiques sont majeures et s'entrecroisent à tout moment. La régulation est aussi un domaine peu connu ou compris du grand public et même des observateurs. En lisant les journaux, on a parfois l'impression que l'action du CSA se résume à un combat de catch avec RTL-TVI. C'est frustrant au vu des enjeux. C'est frustrant parfois aussi car le CSA ne peut gagner certains combats tout seul. Tout cela n'est pas grand chose par rapport à ce qui continue à faire la force de l'institution. D'abord, des décisions importantes sont prises presque chaque semaine par le Collège d'Autorisation et de Contrôle (CAC) et ce, à l'unanimité. Ce n'est pas anodin. C'est notre véritable organe de décision et par là, de sanction. Le CAC est composé de dix membres nommés par les quatre partis politiques démocratiques, selon les règles de la représentativité. Malgré les fantasmes et les clichés qui abondent sur ce type d'organes, voilà un Collège où les différentes sensibilités de la société se rencontrent, débattent et décident ensemble. Par les temps qui courent, c'est rare. Ce consensus est précieux: l'unanimité est indispensable quand, par exemple, le CSA s'engage à faire respecter par les télédistributeurs des principes aussi importants que la péréquation tarifaire, c'est-à-dire l'égalité de traitement de tous les consommateurs, quel que soit leur statut social ou le lieu de leur domicile.
Ensuite, parallèlement au traitement des plaintes et aux contrôles, des dossiers importants avancent. Nous nous sommes récemment accordés avec les représentants du futur Conseil de Déontologie Journalistique sur les modalités de collaboration entre les deux institutions. Arriver à une solution qui tienne la route sur le plan juridique et sur le plan des principes démocratiques était nécessaire. Je pense que le dossier était pollué par des malentendus et des appréhensions qu'il a fallu faire tomber progressivement. Nous avons eu des discussions franches et passionnantes, parfois difficiles, mais nous sommes tombés d'accord. Il faut maintenant accélérer le processus de concrétisation afin que cette institution soit créée. Il est insupportable pour le CSA de devoir dire aux citoyens qui émettent des griefs sur le travail des journalistes qu'à ce stade, personne ne peut véritablement leur répondre.
Vous vous affirmez socialiste. Marc Moulin rappelle souvent que le PS a un goût extrême pour occuper des postes de choix dans notre audiovisuel. Il a bien raison puisque les deux fonctions les plus marquantes que sont celles d'administrateur général de la RTBF et président du CSA ont toujours été accordées à des personnalités de cette obédience politique. Et deux ministres de l'audiovisuel sur trois
N'est-ce pas problématique à terme selon vous cette absence d'alternance?
Et dès lors que penser de cette réflexion d'Alvin Toffler selon laquelle désormais le pouvoir appartient à ceux qui possèdent l'information et la communication?
À titre personnel, n'attendez pas de moi une attitude défensive sur la question. Que voulez-vous répondre à une accusation d'avoir, de la part d'un parti politique,un goût extrême pour exercer des responsabilités dans des secteurs importants? Discutons plutôt de l'essentiel. Outre l'intégrité, évidemment, ce qui compte dans l'exercice de responsabilités, c'est la vision, l'enthousiasme, la ténacité, la concrétisation de valeurs et l'efficacité. Pour ceux qui le souhaitent, prenons alors chacune des personnes à qui des responsabilités ont été confiées et débattons là-dessus. On s'engueulera là aussi, mais au moins, la conversation aura du sens et on ne se trompera pas de débat.
Par rapport à Toffler: le pouvoir a toujours appartenu à ceux qui possèdent l'information et la communication! Et sur ce sujet, Gramsci est plus pertinent et intemporel que Toffler. Ne nous trompons donc pas de débat. Ni Jean-Paul Philippot, ni moi-même ne "possédons l'information et la communication". Le CA de la RTBF ne peut intervenir dans la ligne éditoriale de l'info, pas plus que le gouvernement ou le parlement. Qui "possède" les médias aujourd'hui? Regardez la composition capitalistique des chaînes de télé et de radio les plus regardées. Regardez la composition capitalistique des principaux journaux et hebdomadaires. Croisez maintenant les deux listes. Quelles conclusions en tirez-vous? Cela ne devrait pas être au président du CSA de le faire, en tous cas pas dans une interview.
En tant que militant socialiste, en dehors de votre activité de présidence du CSA, quelles sont selon vous les atouts et les faiblesses de la politique audiovisuelle menée par vos élus? Est-ce un domaine où les actions de votre parti vous semblent particulièrement judicieuses ou quelque peu critiquables? Des erreurs commises? Un ou des projets, ou réalisations, qui vous tiennent particulièrement à cœur?
Pas facile ici d'éviter la langue de bois! En tant que militant socialiste, j'ai le droit de dire ce que je veux de la politique menée par mon parti, mais en tant que président du CSA, il y a sans doute une série de considérations qui seraient légitimement perçues comme partiales, ce qui est la pire des choses quand on exerce une fonction d'arbitre. Ces considérations là, je les réserve pour mes neufs collègues du CAC, où nous en débattons avant d'arriver à une position commune et juste.
La politique audiovisuelle belge francophone se distingue en tous cas par des options assez volontaristes dans des domaines culturellement, politiquement et économiquement sensibles. Toute la politique menée en faveur de la production d'œuvres indépendantes, la défense acharnée de l'exception culturelle et la promotion des artistes de la Communauté française sont ambitieuses, courageuses et donc risquées. Les appels incessants vers de plus de "réalisme" économique et commercial de la part d'intérêts privés qui ont d'autres priorités peut provoquer une érosion du système. Je pense qu'il faut répondre à ces remises en question par des solutions qui préservent et solidifient ces objectifs progressistes, même s'il faut être créatif dans leur mise en application. Je pense aussi que parallèlement à la défense de notre créativité artistique, il faut aussi trouver de nouvelles idées pour promouvoir le développement de notre dynamisme économique dans le secteur de la création de contenu. Le CSA a d'ailleurs la volonté de contribuer à cette réflexion en proposant avec d'autres, des pistes au pouvoir politique. Nous avons tous intérêt à ce que la Communauté française soit une terre de dynamisme et de créativité dans un secteur en pleine expansion.
Ensuite, toujours sur le plan politique, n'oublions pas que notre cadre réglementaire est parmi les plus ambitieux d'Europe et fait la promotion active de certaines valeurs. La Communauté française ne s'est jamais contentée de transposer aveuglément les directives européennes. Il n'y a d'ailleurs pas que la gauche qu'il faut saluer ici: il y a longtemps eu un consensus politique salutaire sur certains grands principes et certaines grandes balises. Nous sommes aujourd'hui en plein travail de réflexion sur la transposition de la nouvelle directive européenne. C'est un enjeu capital et il forcera d'ailleurs chacun des partis politiques au parlement à prendre position sur des sujets fondamentaux (notamment la diversité culturelle, la publicité, la protection des mineurs, etc). Tout cela juste avant les élections, ce qui est réjouissant sur le plan démocratique!
Vous semblez actuellement vouloir marquer votre présidence du CSA d'une attention renforcée pour les intérêts des usagers. Pourquoi avoir fait ce choix et comment va-t-il se traduire concrètement dans le faits? Des premières mesures concrètes à brève échéance?
Notre institution est financée par la collectivité, ce qui induit une responsabilité particulière dans l'exercice de nos missions. Nous avons le devoir d'écouter et d'entendre ce que les citoyens décident de partager avec nous. De plus, il est essentiel selon moi que le public sache qu'il existe un organe dont le rôle est spécifique par rapport à celui d'un gouvernement et d'un parlement, et par rapport à celui des éditeurs de services et leur éventuel service de médiation. Si cette notion d'existence même est une évidence pour nous, nous devons nous souvenir que ce n'est pas le cas pour tout le monde. Nombreux sont ceux qui croient le gouvernement omnipotent, d'autres qui cèdent souvent au découragement en pensant que les chaînes font ce qu'elles veulent.
Et puis, une grande partie du travail du CSA s'effectue suite à des plaintes que nous recevons les cas d'autosaisie étant très rares. Ce sont donc bien les usagers qui, d'une certaine manière, détermine l'agenda du CAC.
Nous nous efforçons d'améliorer en permanence, sur le fond et sur la forme, nos relations avec le publicet le suivi de ses plaintes. Ceux qui nous écrivent entrent en dialogue avec nous; dans notre correspondance, nous privilégions un langage simple, clair (le moins administratif possible) et personnalisé. Nous devons, enfin, ne jamais perdre de vue que c'est un privilège pour le CSA que les citoyens s'adressent à lui. Quelle que soit la surcharge de travail qui s'ensuit, une grande partie de notre crédibilité se construit et se mérite dans notre relation avec le public.
Enfin, nous continuerons à aller à la rencontre du public, à favoriser la connaissance qu'il a de nous, à lui ouvrir nos portes. Toute l'équipe du CSA se mobilise en ce moment pour alimenter cette réflexion et agir concrètement.
Le Collège d'Avis du CSA est en quelque sorte le laboratoire qui propose à la Ministre de l'Audiovisuel des avis pour préparer les règles permettant d'assainir notre "futur" audiovisuel. Il se compose surtout de personnalités appartenant au monde médiatique et attentives à leur pré carré (éditeurs, diffuseurs, régie publicitaires, etc.). Par exemple, on y a dénombre au moins douze personnalités impliquées par le monde de la publicité mais aucun représentants d'associations de terrain qui questionnent ou contestent la publicité tels Respire ou RA (et Respire a déclaré que si on lui avait proposé de participer au CSA, il aurait dit oui). Les représentants du secteur associatif sont très minoritaires et certains d'entre eux hésitent même à participer aux travaux du Collège... (voir: www.consoloisirs.be/articles/lejournaldumardi/070626.html)
Trouvez-vous que cette situation doit être à terme maintenue telle qu'elle se présente actuellement? Préferiez-vous la constitution d'un organe réellement paritaire regroupant professionnels et usagers (on peut craindre d'ailleurs que dans ce cas de figure qu'une désimplication vienne, cette fois, des professionnels eux-mêmes)? Ou pourquoi,aux côtés du Collège d'Avis, ne pas créer un autre groupe de réflexion composé, lui, majoritairement d'usagers, ce qui permettrait en fin de parcours à la Ministre de disposer d'avis reflétant les deux sons de cloches?
J'ai un avis assez tranché sur la question, je vais tenter de bien l'expliquer, car je crois que, fondamentalement, nous nous rencontrons sur plusieurs points, même si nous ne tomberons sans doute pas d'accord sur d'autres.
Ma conviction est que ce que certains pointent comme la faiblesse du Collège d'Avis, son "pêché originel", est sa principale force. Le Collège d'Avis est en effet essentiellement composé de représentants du secteur. Ne nous trompons donc pas sur ce qu'il est, ni sur ce qu'il peut faire. Prenons un peu de recul et observons que, dans les faits, le Collège d'Avis est un lieu tout à fait unique, un lieu où se rencontrent et débattent les professionnels de l'audiovisuel deux choses qu'ils n'ont pas toujours l'habitude de faire.
Donc, bien évidemment, ce n'est pas au Collège d'Avis de faire les lois, d'écrire les décrets. Prenons un exemple concret, très important, celui de la transposition de la nouvelle directive européenne dont je vous parlais précédemment. Le Collège d'Avis se penche actuellement sur ce texte. C'est un travail long et rigoureux qui s'étale sur près de six mois. Il illustre bien plusieurs points cruciaux. D'abord, le Collège d'Avis n'est pas le CSA. Le CSA est le lieu où se déroule, s'organise, se structure le débat. Quand ils participent aux réunions du Collège d'Avis, les experts du CSA expliquent certains points, proposent des pistes et des alternatives, écoutent et prennent bonne note des opinions et des suggestions exprimées. Je préside ces réunions, dans le sens où je mets tout en œuvre pour faire vivre le débat, le rendre constructif et clair. Je donne parfois mon opinion, mais je serais stupide et contre-productif de le présenter comme argument d'autorité. Mon seul objectif est de pouvoir transmettre au gouvernement et au parlement un rapport exhaustif, riche en propositions et en opinions, qui reflètent les points de vue du secteur. Au pouvoir politique ensuite de prendre ses responsabilités et de trancher.
Contrairement au CAC, il n'y ici aucune pertinence, ni impériosité à trouver une unanimité: elle n'existe pas sur de nombreux sujets et n'aboutirait sans doute qu'à un consensus mou qui ne serait d'aucune utilité au législateur. Ce qui est bien plus important est d'obtenir une photographie fidèle des préoccupations et positions du secteur. Ajoutons un dernier point, fondamental pour moi: ce processus garantit une vraie transparence. Les professionnels expriment leurs points de vue, parfois face à leurs concurrents, et ils le font de manière ouverte ce qui n'est pas la même chose que d'aller défendre ses intérêts particuliers lors de colloques singuliers avec tel ou telle parlementaire.
Le problème vient souvent de la confusion entre le Collège d'avis et le CSA, ce qui peut donner à l'extérieur l'image que le CSA cautionne les avis du Collège par sa propre neutralité et indépendance. Or, cela n'a rien à voir. Les opinions du Collège d'Avis ne sont évidemment ni neutres ni indépendantes; ce n'est pas leur but! L'apport du CSA est de les rendre les plus pertinentes, utiles, lisibles, intéressantes et précises possible.
Maintenant, en effet, qu'en est-il de l'avis des non-professionnels? Je pense que l'avis des citoyens n'a pas encore trouvé de moyens plus légitimes de représentation que via leurs élus. C'est quand cela même la définition de la représentation politique. Les parlementaires sont en dialogue direct avec la population, c'est leur rôle de refléter les valeurs et opinions de notre société. Si certains ne le font pas ou le font mal, c'est un problème majeur que l'on ne résoudra pas en retirant à chacun d'entre eux cette légitimité.
Si le législateur estime qu'il y a lieu de structurer et d'organiser le débat citoyen et que le CSA peut être utile dans cette mission, nous serions plus que ravis d'y contribuer. Mon inclination personnelle peut me faire penser que la pensée citoyenne est plus riche quand elle est libre, spontanée et sauvage que quand elle est encadrée dans une structure. Elle est aussi naturellement transparente. Je ne crois donc pas qu'une nouvelle structure soit la voie à suivre. Mais je ne détiens ni la vérité, ni le pouvoir de décision. À ce stade, en tous cas, le CSA réfléchit très activement pour créer en son sein de nouvelles formes d'ouverture à l'expression citoyenne. Nous allons commencer par ouvrir plus souvent nos portes à l'occasion de séminaires ouverts. Nous voulons aussi nous ouvrir sur le monde académique et contribuer au dynamisme de la recherche dans notre secteur. Etant dans le monde académique moi-même depuis neuf ans, j'y suis particulièrement sensible.
Seriez-vous d'accord pour constater avec moi que le contre-pouvoir dans le domaine de l'audiovisuel est bien ténu dans la mesure où il n'existe pas d'associations structurées et d'envergure d'auditeurs et de téléspectateurs? Le régulateur n'aurait-il pas intérêt à tenter d'identifier les causes de cette absence et mener une réflexion pour détecter les moyens à mettre en place pour tenter d'y pallier? N'y a-t-il pas là un objectif majeur pour l'avenir?
Je pense que cette question est liée à la précédente, évidemment. À nouveau, je pense que le vrai contre-pouvoir aux grands médias est le pouvoir politique. C'est en effet au pouvoir politique qu'il appartient de mettre en place des règles pour baliser le développement du secteur, de protéger les lieux d'expression minoritaire (notamment dans les radios et la presse écrite), de contrôler le développement d'associations capitalistiques qui débouchent sur des situations de position dominante sur certains marchés. Tout cela, il le fait. Pour le pousser à continuer, à faire mieux, à tenir bon, oui, évidemment, il faut une expression citoyenne forte.
Je le dis sans malice, je ne suis pas sociologue: je ne comprends pas pourquoi les gens semblent si peu se préoccuper de certains enjeux qui touchent à leurs principales sources de divertissement et d'information. Nous, de notre côté, nous poursuivons nos efforts pour nous faire connaître du grand public, afin qu'il sache qu'un simple email adressé au CSA peut déclencher des procédures utiles pour corriger des dérives et faire respecter les règles.
Il y a souvent, dans la presse, une grande agitation autour de la RTBF. C'est très bien, mais je vous avoue que le CSA tente de mener tellement de combats qui se déroulent ailleurs et sur d'autres sujets fondamentaux, que l'on peut se sentir parfois bien seuls. Mais ce n'est pas à nous à dire aux gens envers quoi ils doivent réagir!
Comment vous positionnez-vous par rapport au fait que Philippe Delusinne, l'Administrateur délégué de RTL TVI, ait récemment retrouvé son strapontin au Collège d'Avis, alors que ses chaînes ont émigré au Grand Duché du Luxembourg et qu'il réfute que le droit de la Communauté française ne lui soit applicable? Pourquoi, selon vous, le Gouvernement lui permet ainsi d'influencer l'élaboration de recommandations... qu'il pourra refuser d'appliquer lui-même, leur préférant la régulation "light" Luxembourgeoise?
Là aussi, même si je m'en excuse, je me dois de sortir mon joker. Ce n'est pas moi, ni le CSA, qui nomme les membres du Collège d'Avis. De manière très générale, et au-delà du conflit juridique entre le CSA et RTL, un dialogue entre le régulateur et la principale chaîne privée est utile, voire indispensable, si on veut malgré tout quand même avancer sur certains dossiers. Pour des raisons juridiques notamment, le dialogue n'est pas toujours aisé. Mais il existe et c'est important. Au Collège d'Avis, au CAC, ou dans nos activités au CSA, on se parle et, espérons, on s'entend. Pour le surplus, je ne peux que constater avec vous que, en droit comme dans de nombreux faits, RTL se comporte comme une chaîne belge. La situation est absurde, mais la solution n'est pas dans mes mains.
Depuis le milieu des années ’90, le pouvoir politique a établi progressivement une séparation plus nette entre lui et la RTBF. Aujourd'hui, ce n'est plus la Ministre de l'audiovisuel qui est chargée de faire remontrance au service public lorsque celui-ci ne respecte pas ses obligations. Cette tâche a été transmise au CSA qui analyse le rapport annuel des activités de la RTBF, et condamne éventuellement celle-ci. Dans le nouveau contrat de gestion du service public, n'y-a-t-il pas un début de "marche arrière" par rapport à cette saine attitude du monde politique?
En effet, depuis janvier 2007, la RTBF a dû se doter d'un outil d'évaluation et de suivi régulier de ses missions. La Ministre Laanan l'avait ainsi annoncé: "Un tableau de bord trimestriel sera remis par la RTBF au gouvernement. Il y sera fait mention des résultats obtenus et des moyens mis en œuvre en vue d'atteindre les objectifs fixés". Le MR avait réagi en vain en assimilant ce projet à une immixtion du politique dans la gestion quotidienne d'une entreprise publique autonome. Mme Laanan précisa: "La RTBF remettra tous les quatre mois un tableau de bord. Le conseil d'administration sera amené à prendre position pour corriger le tir si, par exemple, deux tableaux de bord successifs révèlent des carences. Et s'il ne le fait pas, j'interviendrai auprès des deux commissaires du gouvernement".
Est-ce un retour à l'interventionnisme gouvernemental car on s'attendait à ce que l'intégralité de ce tableau de bord soit transmis plutôt au CSA, ce qui n'est pas inscrit dans le texte du contrat de gestion?
Je ne vais pas revenir sur les fantasmes récurrents autour de la RTBF. Ils seraient comiques s'ils n'étaient pas, parfois, insultants pour le personnel de la RTBF.
Soyons clair: le CSA garde sa mission de contrôle des obligations de la RTBF. Le CSA travaille sur un rapport annuel pour lequel il faut, logiquement, du temps à la fois pour sa rédaction et pour son analyse. Par exemple, le CAC vient de terminer la première phase de sa procédure quant au rapport annuel 2006. Nous sommes en 2008. La nouvelle disposition dont vous faites mention a, pour objectif, de pouvoir réagir dans des délais plus brefs et sur des points bien particuliers, comme de juger si le dispositif en place pour certaines émissions touche bien son public. L'idée est donc bien de responsabiliser les dirigeants de la RTBF en "temps réel" sur des aspects importants de sa politique. Cela n'entrave, ni ne diminue en rien le travail du CSA.
Une question dont on n'a pas fini de parler: faut-il diminuer, voire supprimer la présence publicitaire à la RTBF et sur les télévisions locales? Treize associations d'importance demandent la réalisation d'une enquête de type scientifique sur cette thématique avant tout débat public. Pouvez-vous vous positionner par rapport à cette dernière revendication?
Ici aussi, vous me poussez à la schizophrénie. Le CSA n'a rien à dire sur ce sujet. Quant à moi, disons que je rêve d'une Communauté française qui aurait un vrai pouvoir de trouver des revenus, d'un service public qui aurait les moyens de la BBC ou de la VRT, d'un beau vrai débat gauche-droite pour savoir où et à qui on prend l'argent, de règles publicitaires applicables à tous et qui sont un peu courageuses (comme par exemple qu'on arrête de nous montrer de belles images de grosses voitures glissant à travers de beaux paysages de nature). Bref, je rêve beaucoup, mais sur ce sujet-là, je ne permets de rêver qu'une fois rentré chez moi le soir.
Le CSA français occupe l'équilavent de 300 plein-temps, et l'organe de régulation de la communauté française, une petite vingtaine. Est-ce suffisant? Comment voyez-vous l'avenir de notre CSA à ce niveau-là? Quelle revendication conseilleriez-vous aux usagers d'avoir sur ce dossier pendant la prochaine campagne électorale de 2009?
Sur ce plan, les choses évoluent bien. Je suis convaincu que l'une des forces du CSA est justement d'être une équipe restreinte et très soudée. Comme en plus, nous avons la chance de compter chez nous des gens d'une compétence, d'une motivation et d'une créativité exceptionnelles, il y a un dynamisme intellectuel et professionnel très précieux. Pour les prochaines années, vu le nombre croissant d'éditeurs, vu certaines nouvelles compétences qui vont peut-être nous être dévolues et vu l'indispensable travail de coopération avec les autres régulateurs belges pour se concerter sur certains aspects des télécommunications, il nous faudra certainement nous renforcer, sans pour autant dépasser une taille qui alourdirait notre fonctionnement. Le Gouvernement semble partager nos préoccupations. Donc, je préférerais que les usagers consacrent leurs énergies électorales à d'autres combats!
Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be
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