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Nos médias (N°48 / 24 avril 2007) Une RTBF "made in France"
J'ai fait le choix d'une semaine prise au hasard, décidé de m'y tenir quelque soit le résultat de mes observations: Il s'agit de la semaine en cours actuellement (du 21 au 27 avril 2007) pour la comparer avec les mêmes dates, un an plus tôt. Quels changements constate-t-on dans les programmes de La Deux, un an après la nomination d'Yves Bigot comme directeur des antennes TV de la RTBF?
Ces jours-ci, vous aurez droit donc sur La Deux vers 20H30, en tout et pour tout, à deux séries USA (samedi 21 avril avec FBI, Portés Disparus et vendredi 27 avec Saved), à deux films USA (mardi 24 avec Crimes et Pouvoir et mercredi 25 avec Proposition Indécente) ainsi qu'à trois soirées sportives (dimanche 22 avec la Fed Cup; lundi 23 avec Studio 1 suivi d'Autovision; enfin, jeudi 26 avec la Coupe UEFA).
"Zoom arrière": de 20H45... à 23H00!
Dans le même créneau (de 20H15 à 22H30 environ), il y a tout juste un an, on nous proposait des ingrédients analogues (les séries américaines Dingue de Toi et 55 Degrés Nord; un film germano-américain; trois émissions sportives: le Week-end Sportif; Champion's Le Mag; la Coupe de l'UEFA).
Mais ces programmes ne monopolisaient pas tout le prime time, puisqu'on pouvait également y découvrir une dizaine d'offres d'une toute autre nature:
- le magazine d'archives Zoom Arrière (le 21 à 20H45; actuellement, cette émission est programmée vers 23H00);
- le magazine de société Vous êtes ici (le 21 à 21H50);
- le magazine de la vie associative Ça Bouge (le 21 à 22H25; actuellement, ce programme est diffusé vers 12H45 sur La Deux, avec une rediffusion sur La Une);
- le divertissement La Télé Infernale (le 22 à 20H10);
- une pièce de théâtre enregistrée au Théâtre du Rond-Point à Paris (le 22 à 21H00);
- un documentaire programmé à l'occasion du 20e anniversaire de Tchernobyl (le 23 à 20H50);
- Noms de Dieux, les entretiens d'Edmond Blattchen (le 23 à 22H15; actuellement, cette émission est programmée vers 22H50);
- le magazine des sciences Matière Grise (le 24 à 20H40; actuellement, cette émission est proposée vers 23H00 sur La Une avec une rediffusion vers 20H35 sur La Deux);
- et un documentaire sur les suites de l'explosion atomique d'Hiroshima (le 24 à 21H35).
Cette évolution orchestrée par Yves Bigot permet de redresser l'audience de La Deux, mais à quoi bon si le menu offert aux anciens et nouveaux téléspectateurs oublie aux heures de grande écoute les missions particulières dévolues au service public!
La seule victoire de la Deux devrait consister à trouver les formes qui permettraient de promotionner auprès d'un public plus important des programmes que jamais les chaînes privées ne proposeront: des initiatives qui touchent des publics minoritaires, des "pratiques" qui permettent aux usagers de questionner leur consommation audiovisuelle, la programmation de thématiques qui ne font pas nécessairement les choux gras de l'émotionnel mais qu'il est utile de traiter pour contribuer au renforcement démocratique de notre pays. Quelques fleurons comme Questions à la Une implanté sur La Une le mercredi à 20H20, et suivi par Les Bureaux du Pouvoir, concrétisent encore cette option mais le repositionnement récent de la Deux en chaîne généraliste évacue de celle-ci aux heures où le vaste public est à l'écoute les missions pour lesquelles la part la plus importante du budget culturel de la Communauté française est attribuée en dotation à la RTBF.
La culture pour les culturels!
Le nouveau directeur revendique ce changement de cap. Il réagit en affirmant qu'il fallait passer par là pour rétablir une lisibilité plus cohérente de l'offre de la chaîne et il rappelle qu'il est également à l'initiative de la création d'un pivot quotidien consacré à la culture sur la Deux où l'on retrouve des émissions telles que Mille-Feuilles ou Screen, les magazines littéraires ou cinématographiques. Mais ces émissions sont programmées vers 22H45, voire 23H, à une heure où l'on ne propose ni jeux, ni télé-réalité, ni séries, ni variétés... et pour cause!
Cette quasi mise au pain sec de la culture pour des publics qui se lèvent tôt se complète par le fait que l'agenda quotidien 50 Degrés Nord se rediffuse bien tardivement sur La Une (du 23 au 27/4/2007: respectivement à 23H25, 23H55, 00H05, 23H45 et 00H30!). Quant à sa première diffusion sur Arte Belgique à 20H15, elle ne touche qu'un public minoritaire, déjà sensibilisé à la culture puisqu'il franchit le pas de fréquenter cette chaîne passionnante mais élitaire.
De plus, début janvier 2007, Javas a été supprimé. Ce "programme court" de type agenda culturel, lorsqu'il était efficacement multidiffusé, touchait jusqu'à 200.000 téléspectateurs. Il fut un exemple abouti de démocratisation culturelle. De plus, il annonçait des types d'activités rarement reprises par 50 degrés Nord et qui sont donc désormais orphelines. Les frais de production de Javas étaient minimes et donc la direction de la RTBF a cassé un outil qui avait amplement fait ses preuves.
Avant le retour de l'école!
Mais pourquoi donc accumuler durant le prime-time de La Deux séries ou films grand public (avec la suppression des diffusions naguère proposées en V.O.), les jours où il n'y a pas de programmes sportifs... Pour créer une seconde chaîne généraliste qui pourrait attirer un public numériquement plus important, ce qui permettrait de hausser la tarification publicitaire?
La fin de l'après-midi est également chamboulée. On a l'impression que la pression des annonceurs n'y est pas pour rien! Puisqu'il est interdit de placer de la publicité durant les 5 minutes qui précèdent et suivent les émissions destinées aux moins de 12 ans, plaçons donc ces programmes inintéressants commercialement parlant dans des créneaux horaires moins porteurs... Il y a un an, Ici Blabla commençait à 17H00 et Les Niouzz, à 18H00. C'était l'acquis d'une longue pression menée notamment par La Ligue des Familles qui ne supportait pas que les programmes spécifiquement destinés aux enfants... s'entament quand leur public est encore sur la route du retour à la maison! Aujourd'hui, le démarrage de ces deux émissions est avancé à, respectivement, 16H25 et 17H40. Ce qui permet de placer en avant soirée davantage d'émissions porteuses publicitairement parlant. Ainsi, un talk-show de Jean-Luc Delarue, Toute une Histoire, et un feuilleton qui se déroule à Marseille, Plus Belle la Vie, occupent la tranche convoitée de 17H55 à 19H20 (avec une deuxième diffusion de ces programmes pendant la pause de midi: de 11H40 à 13H10).
Pourquoi subsidier une succursale française?
Bien entendu, les téléspectateurs peuvent retrouver ces deux émissions sur France2 ou France3. À quoi bon augmenter la dotation de la RTBF durant les cinq années qui viennent, ce qui est acquis par le nouveau contrat de gestion, si c'est pour que celle-ci ne cultive pas sa différence et ne propose pas aux habitants de la Communauté française davantage de programmes qui les concernent directement?
Est-ce un hasard si la RTBF ressemble de plus en plus à une "succursale française" depuis qu'elle a importé de Paris son nouveau directeur des antennes?
Pourquoi faire doublon et à quel prix diffuser prochainement l'émission Tenue de Soirée que Michel Drucker compte réaliser depuis la Grand-Place bruxelloise... pour faire découvrir au public de France2 les talents de chez nous? Pourquoi convient-il, la saison prochaine, d'inviter Fabienne Vande Meerssche à organiser plusieurs numéros des Bureaux du Pouvoir auprès de personnalités françaises? Les exemples se multiplient et méritent un débat ouvert. Ne peut-on pas craindre progressivement l'amenuisement d'un encrage belge lorsque des reportages tournés par l'équipe historique de Planète en Question sont finalement formatés dans une émission enregistrée à Paris et présentée par un animateur français, ce programme étant également diffusé par la chaîne France Ô? Un processus analogue avec le même diffuseur français va également diluer 1001 Cultures (anciennement Sindbad) dans le magazine de France Ô, Melting Pot?(1). Est-ce une nouvelle étape d'une prochaine suppression de 1001 Cultures, celle-ci ayant été déjà refusée l'automne dernier par le Conseil d'Administration de la RTBF à Yves Bigot?
La tendance générale ne pourrait-elle pas se résumer en un éloignement progressif par la RTBF de ses priorités qui lui avaient jusqu'à présent toujours permis de se personnaliser? "L'atout numéro 1 de la RTBF était, est et sera toujours le magazine maison, fait par des gens de la maison, avec le savoir-faire maison. Il fait mouche auprès du téléspectateur, et est reconnu à l'extérieur" indiquait récemment Georges Huercano-Hidalgo dont le C'est la Vie au format quotidien qui trustait les bonnes audiences tout en étant peu onéreux à produire fut abandonné lors du remaniement des grilles de la présente saison(2).
(1) Une diffusion de six numéros est annoncée prochainement.
(2) Télékila, 02/12/2006.
Le moral des troupes remonte
Tout n'est pas noir, heureusement! Yves Bigot peut voir sa main se transformer en baguette magique lorsqu'il s'intéresse, par exemple, au divertissement musical. Quelle belle soirée que celle vécue par les téléspectateurs qui ont ont suivi récemment le "Quelque chose en nous de..." en hommage à Pierre Rapsat! Venant de l'étranger, le nouveau directeur des antennes de la RTBF a pu également, mieux que quiconque faisant partie du sérail, insuffler un nouveau dynamisme au moins auprès d'une partie active d'un personnel particulièrement désabusé, comme en témoigne Johanne Montay, l'un des atouts des émissions d'information de Reyers: "La fierté est de retour. Franchement, le moral des troupes remonte... la RTBF est aujourd'hui dans une phase où il faut avant tout des résultats grâce à la compétence réelle des gens"(1). Encore faut-il que l'énergie retrouvée serve un projet "service public" qui ne serait plus autant sous influence des intérêts des annonceurs.
(1) Interview accordée à Fernand Letist, Télémoustique, 11/04/2007.
Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be
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