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Nos médias (N°41 / 6 mars 2007) L'omniprésence de la pub est impopulaire
"Publicité: notre cerveau est-il à vendre?": c'est sous cet intitulé que, le 24 février dernier, les Équipes Populaires (EP) rassemblaient une centaine de participants à Namur pour un samedi de formation où elles se proposaient "d'organiser la rébellion".
Tous nos parlementaires et le gouvernement devront tôt ou tard se rendre à l'évidence et tenir compte du fait que l'omniprésence publicitaire devient de plus en plus impopulaire. Il ne s'agit plus seulement de critiques émanant d'"intellectuels" ou de "culturels"(1) mais bien d'une véritable lame de fond, même si celle-ci a encore du mal à se faire entendre car la thématique qu'elle aborde est souvent bien moins médiatisée que d'autres problèmes sociaux par nombre de journaux, de radios ou de télés qui ne veulent pas assombrir la sympathie de leurs annonceurs.
Pour un mieux vivre ensemble
Les EP sont l'une des organisations d'éducation permanente constitutives du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC), aux côtés de la CSC, des Mutualités Chrétiennes, de Vie Féminine, de la JOC, etc.
Ce mouvement rassemble 120 groupes d'action locaux pour œuvrer à une société d'égalité et de justice sociale: "Être citoyen actif, ça commence souvent par un combat sur des réalités concrètes, parfois très locales. C'est donc là où les gens vivent que nous voulons agir". Parmi leurs thématiques d'action, c'est la "consommation" qui est prioritairement à l'agenda actuellement: "Formidable champ d'action, la consommation est aussi la source d'inégalités criantes renforcées par un mode de vie qui nous pousse à toujours consommer davantage sous peine d'être mis hors du coup".
Dès le début mai, les EP vont lancer une campagne sur la thématique publicitaire. Un dossier et des outils d'animation seront créés à cet effet qui prolongeront une première publication de 66 pages qu'elles ont déjà consacrée au thème: "La publicité, miroir d'un mythe?"(2).
Dans la farde de travail distribuée aux participants de la journée du 24 février, une ébauche d'un texte de communiqué de presse était soumis à leurs réflexions. On peut y lire: "...Nous nous insurgeons particulièrement à propos du glissement qui s'opère vers de nouvelles pratiques publicitaires. Elles n'ont rien d'anodin. Annonceurs, agences de marketing et médias sont tous conscients de la lassitude, voire de l'exaspération d'une partie grandissante du public vis-à-vis de l'omniprésence de la publicité dans tous les domaines de l'existence. Ils cherchent donc de nouvelles formules... Or, on sait bien que la majorité de la population n'a pas les moyens de décoder le monde publicitaire et ses nouvelles techniques, l'information à ce sujet étant peu disponible. Une telle dérégulation est inacceptable... L'enjeu est bel et bien d'apporter davantage de réglementation et d'encadrement dans ce domaine, et non de subir la loi d'un marché sourd et aveugle à tout autre but que son bénéfice propre. En commençant par préserver un véritable outil médiatique de service public...".
Les deux tiers sont contre
L'un des trois ateliers de l'après-midi s'intitulait "Faut-il interdire la publicité dans les services publics?". Un jeu permit, dès le départ, à ses participants de répondre "oui" à cette interrogation, pour les 2/3 d'entre eux. Les arguments présentés par ces participants-téléspectateurs qui venaient des quatre coins de la Communauté française sont significatifs:
- "Il y a trop de matraquage, ce qui mène à une consommation abusive".
- "À cause d'elle, les émissions ne commencent plus à l'heure" (cet argument fut proposé à deux reprises).
- "La télé, avant la pub, était de meilleure qualité et moins agressive".
- "La pub qui coupe les émissions relâche notre attention" (à deux reprises).
- "Les marques nous influencent et l'on achète des produits sans analyser leur contenu".
- "Entre ce que la publicité raconte et la réalité, il y a trop de différences".
- "Ce n'est pas le rôle d'un service public que de diffuser de la pub".
- "La pub dure trop longtemps".
- "La pub conditionne le contenu et la diffusion des émissions".
Quant aux tenants de la présence publicitaire, ils y croient davantage par réalisme économique que pour le plaisir de découvrir ses réalisations:
- "Lorsqu'il a introduit la publicité à la RTBF, Robert Wangermée disait qu'elle permettrait d'équilibrer les budgets. Sur le service public, je trouve qu'elle ne trompe pas les téléspectateurs".
- "Si on interdisait toute la publicité, on devrait alors aussi faire l'impasse sur la publicité d'intérêt général".
- "Il est inutile d'interdire la publicité à la RTBF si on ne le fait pas partout ailleurs... et je ne regarde pas la télé... Je pense qu'il vaudrait mieux apprendre à la décoder".
- "Les rentrées publicitaires permettent à la RTBF en partie de participer aux financement de films et de séries. Oui à la pub, à condition que son utilisation soit mieux contrôlée".
- "Sans elle, la RTBF perdra des emplois".
Les propositions émises à la clôture de cette journée montrent l'ambition d'un public qui en a marre de se faire malmener: soutenir la création d'un observatoire fédéral de la publicité (dans lequel , à l'inverse du Jury d'éthique publicitaire, annonceurs et diffuseurs ne seraient plus majoritaires); mieux encadrer et limiter les temps de passage de la publicité; élaborer une liste de produits "interdits de publicité" parce que leur promotion irait à l'encontre de l'intérêt général; taxer davantage les publicitaires, selon le principe du pollueur payeur, pour mieux financer les politiques culturelles; exiger un débat public sur le contenu des programmes de la RTBF...
(1) Côté plus militant, le sujet mobilise aussi: il manquait des sièges dans l'auditorium du Parlement bruxellois où était organisé le colloque "La publicité dans l'espace public: comment en réduire la place?", le 27 janvier dernier.
(2) EP, Rue de Gembloux 48, 5002 Namur.
Courriel: equipes.populaires@e-p.be
Site:www.e-p.be
Une RTBF sans pub, c'est réaliste
Que pense donc Elio Di Rupo de cette 81ème proposition du pacte présidentiel de Ségolène Royal:"Taxer les recettes publicitaires des chaînes privées en faveur de l'audiovisuel public"? Ce projet est indispensable à condition de s'intéresser aux annonceurs eux-mêmes selon le principe du pollueur-payeur (obésité, violence, surconsommation, etc.) plutôt qu'aux chaînes qui pourraient s'y dérober en se délocalisant. Si le PS qui règne depuis tant de décades sur la politique audiovisuelle se rangeait à cette idée, la RTBF pourrait (re)devenir très rapidement une chaîne de télévision sans publicité comme sa consœur flamande, la VRT.
Bien sûr, d'autres économies seraient nécessaires et profitables au service public. Différents programmes (souvent onéreux) seraient supprimés puisqu'ils ont été induits par des préoccupations audimatiques, à mille lieues des priorités du service public. À quoi bon tant dépenser pour la diffusion de certains films ou divertissements (Toute une histoire de Jean-Luc Delarue) que l'on verra la veille ou le lendemain sur d'autres chaînes? Croyez-vous que les fans de F1 seraient frustrés de ne plus la suivre que sur TF1? Pourquoi s'acharner à financer une émission axée sur la royauté et l'aristocratie qui fait double emploi avec son "modèle" diffusé par l'outsider privé?
La publicité... coûte fort cher! Pour l'attirer, la RTBF a dû multiplier programmes (passer de 3 à 5 chaînes de radio), personnel et entretien de locaux, reléguant du même coup à des horaires pour insomniaques d'autres objectifs réalisés avec des fonds de tiroir alors que c'est pour concrétiser ceux-ci qu'elle reçoit une dotation qui couvre 75% de son budget.
Les vides laissés par la suppression des spots eux-mêmes et par l'arrêt des émissions qu'ils ont induites permettraient à la RTBF de retrouver de l'espace, du temps et de l'énergie pour favoriser une politique intelligente de rediffusion de ses propres programmes (rediffusion nocturne des JT en boucle), se réintéresser aux V.O sous-titrées, etc.
La RTBF arrêterait également de participer au financement de l'audimat qui n'est qu'un outil de mesure destiné aux annonceurs et elle réinjecterait ce budget dans l'élaboration d'un "qualimat" qui chercherait à savoir comment ses usagers ont perçu et apprécié ses programmes. Parions qu'ils seraient nombreux... Pour rappel, pendant deux saisons au début de ce millénaire, L'Hebdo, l'ancêtre de Questions à la Une, fut diffusé dans la foulée du 19H30, sans interruption publicitaire. Durant cette période, son auditoire se renforça chaque semaine de près de 100.000 téléspectateurs!
Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be
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