Nos médias (N°35 / 23 janvier 2007)
RTL TVI, CLUB RTL et PLUG: les avantages sans les devoirs
Depuis le 1er janvier 2006, les programmes de RTL TVI et de Club RTL gardent leur ancrage en Communauté française bien qu'ils ne soient plus diffusés que sous une licence luxembourgeoise.
Alors que le contenu de ces chaînes vise un public précis, ce rapatriement juridique au Grand Duché du Luxembourg met fin à l'obligation pour ces dernières de se conformer aux règles existant chez nous et ne permet plus au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de la Communauté française d'en condamner leur non application le cas échéant, puisqu'elles dépendent désormais de l'organe de régulation Grand Ducal. Celui-ci est plus permissif notamment en ce qui concerne la réglementation publicitaire. De plus, il ne dispose d'aucun moyen humain en matière de contrôle et ne détient qu'un pouvoir de sanction quasi nul.
RTL TVI (depuis 1988) et Club RTL (depuis 1997) vécurent jusqu'au 31 décembre 2005 sous le régime de la double licence (celle du Grand Duché et celle de chez nous). La licence belge n'ayant pas été reconduite, ces chaînes sont donc désormais diffusées illégalement chez nous, c'est dumoins la constatation du CSA qui leur a infligé, le 22 novembre 2006, une amende de 500.000 euros. Celle-ci ne serait pas recouvrée si des demandes d'autorisation de diffusion de ces chaînes étaient introduites au plus tard trois mois après la notification de ladite condamnation.
La CLT-UFA (RTL Group), l'actionnaire luxembourgeois de TVI, a décidé d'aller en appel de cette décision par un recours devant le Conseil d'Etat.
Décisions éditoriales depuis Luxembourg!
Pour déterminer l'Etat compétent pour un service, la Directive Européenne actuellement en application prévoit notamment comme critère le fait de savoir s'il héberge bien le lieu du "siège social effectif" où sont prises les "décisions de la direction relatives à la programmation".
Sur ce point, la CLT-UFA affirme que c'est au Luxembourg que se prennent les décisions éditoriales de la direction relative à la programmation de ses services. Il y aurait même une séparation complète entre la production réalisée en Belgique par TVI et la programmation déterminée par elle-même (la CLT-UFA) au Grand Duché.
Le CSA remet en question ce point de vue et affirme que "la plupart des fonctions essentielles caractéristiques de la responsabilité éditoriale sont toujours bien exercés dans les locaux de TVI à Bruxelles, et notamment la direction générale, la direction des programmes, la rédaction en chef, les décisions quotidiennes relatives à l'assemblage des programmes…".
Le CSA ne croit pas TVI quand celle-ci soutient que "toute modification des programmes se fait toujours et uniquement sur décision de CLT-UFA". Il donne un exemple concret. Le 6 juillet 2006, son secrétariat d'instruction du service de régulation demande aux représentants de TVI de leur montrer le document leur donnant autorisation de la CLT-UFA pour le bouleversement de ses programmes trois jours plus tôt afin d'y diffuser en direct les funérailles d'une victime d'un fait divers violent (l'assassinat à Liège des fillettes Stacy et Nathalie). Ceux-ci n'ont pas pu présenter pareille preuve, se contentant d'affirmer qu'il s'agissait là d'une décision verbale prise par un responsable de CLT-UFA ayant autorité en matière de programmation et ils ne citèrent même pas son nom! (www.csa.be/AVIS/cac_decisions.asp)
Et Plug TV, la troisième chaîne de TVI? Elle est un cas à part: ayant été créée plus récemment, celle-ci ne dispose même pas de la double licence. En décembre 2005, la chaîne écrit au CSA pour renoncer à partir de janvier 2006 à la licence belge qui lui avait été délivrée en 2004 pour dix ans. Celui-ci lui a répondu qu'une renonciation à une autorisation n'est pas prévue par la loi belge.
Désir de reprise en main du CSA?
Coup de théâtre au Parlement de la Communauté française, ce 11 janvier 2007: la ministre de l'audiovisuel Fadila Laanan y déclare en commission qu'elle est prête à trouver un compromis si le gouvernement Grand Ducal pouvait lui garantir que, bien qu'édité par la CLT-UFA à Luxembourg, RTL TVI respecterait les obligations belges en matière de protection des mineurs et de production.
Cette déclaration va à contre-sens de l'attitude sereine qu'elle affichait habituellement jusqu'à présent par rapport à ce dossier. Le 25 mars 2006, elle déclara à Xavier Diskeuve (Vers l'Avenir): "Laissons l'organe de contrôle faire son travail". Ce 1er décembre 2006, peu après que le CSA ait annoncé sa sanction, elle expliqua à Pierre-François Lovens (La Libre Belgique) que le gouvernement n'entendait pas s'immiscer dans la procédure indépendante menée par le CSA: "Je continue à travailler au niveau de la révision de la Directive Européenne".
Pourtant, c'est bien l'organe de régulation qui a compétence pour gérer ce dossier: dire le droit en toute indépendance, constater et éventuellement sanctionner toute infraction. C'est lui qui délivre ou retire les autorisations de diffusion des diffuseurs dans le secteur de l'audiovisuel.
Bien entendu, le pouvoir politique peut se sentir dépossédé de pareil terrain de décision, d'autant plus qu'avant la mise en application du décret de 2003, c'est lui qui gérait cette matière. Mais alors, il ne fallait pas créer le CSA!
Sommes-nous dans une stratégie de reprise en main?
Le nouveau contrat de gestion de la RTBF prévoit que son conseil d'administration transmette régulièrement à la ministre ses commentaires des rapports d'évaluation des audiences et des évaluations qualitatives des programmes du service public. Rien d'analogue n'est prévu dans le texte à l'égard du CSA qui a, justement, pour mission, d'analyser année après année si la RTBF a bien observé ses obligations.
Lors de l'élaboration de ce contrat de gestion, le CSA avait mené une réflexion sur le projet qui allait se négocier entre la direction de la RTBF et la ministre. Celle-ci avait marqué vertement en public son irritation sur cette prise d'initiative alors que l'organe de régulation était dans son droit et s'il ne l'avait pas fait, cela lui aurait été à juste titre reproché par la suite.
Le budget 2007 de la Communauté française a rogné environ 300.000 euros dans les sommes prévues par le contrat de financement établi entre la ministre et le CSA, fait qui a été divulgué par la presse: "simple distraction ou acte politique délibéré…" (1).
L'erreur sera réparée au printemps lors de l'ajustement budgétaire, a ensuite promis la ministre devant le Parlement. Un acte manqué de plus?
Protéger le téléspectateur
La proposition de la ministre aligne deux priorités et en délaisse bien d'autres.
TVI a déjà pris l'initiative de continuer d'aider les producteurs belges en signant, le 11 décembre 2006, une "déclaration volontaire d'investissements vis-à-vis des associations professionnelles de l'audiovisuel en Communauté française". Quant au respect des obligations belges en matière de protection des mineurs, le diffuseur privé peut difficilement s'en affranchir car il s'agit là d'une thématique sensible pour le public populaire auquel il s'adresse.
Mais qu'en est-il de tant d'autres priorités actuelles ou à venir? Seraient-elles abandonnées à tout jamais? Les efforts à faire vis-à-vis du monde des sourds et des malentendants? La suppression ou la régulation des émissions de "call-TV" également appelées "TV-tirelire"? Et surtout, la régulation des programmes publicitaires dans leur contenu (pour prévenir, par exemple, le développement de l'obésité), dans leur présentation à l'écran et dans leur surabondance (pendant une dizaine d'années, la publicité était interdite autour des émissions pour enfants sur les chaînes privées flamandes, à l'inverse de ce qui fut édicté en Communauté française qui n'a prévu cette mesure que pour la RTBF)?
Le combat du CSA vise à reconquérir et garantir cette protection des téléspectateurs qui devrait être normalement le lot de toutes les chaînes qui vivent grâce aux investissements publicitaires et aux publics engrangés sur notre territoire.
Cette fuite au Luxembourg tend même à déréguler durablement la RTBF. La direction de celle-ci ne cesse désormais de revendiquer plus de laxisme et moins d'obligations puisque (presque) tout est désormais permis à la grande sœur luxembourgeoise (2). Le gouvernement de la Communauté française a d'ailleurs tenu compte de cet argument en oeuvrant pour que le service public puisse engranger davantage de rentrées publicitaires. Que l'argent des annonceurs "travaille" chez nous plutôt qu'il ne profite en terres étrangères! Et que fait-on du développement de la surconsommation des usagers de la RTBF qui s'en suivra inévitablement ainsi que de son incidence sur les futurs budgets de l'Etat?
Le virage à 180% de la ministre peut également s'expliquer par le fait que, le 13 décembre 2006, le projet de révision de la Directive "Télévision sans Frontières" a été voté en première lecture au Parlement de Strasbourg. Les avancées proposées notamment par la Belgique pour que des "délocalisations" à la TVI deviennent impossibles n'ont pas été adoptées. Cette défaite est-elle définitive? Il faudra encore attendre de nombreux mois avant que la deuxième lecture du projet de la directive ne se fasse tant au Parlement qu'au Conseil des ministres. C'est là que devraient plutôt se concentrer les efforts de notre ministre.
Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be
(1)"En panne: budget du CSA amputé", La Libre Belgique, 10/01/2007
(2) La RTBF oublierait-elle que 20 autres chaînes privées et 12 télévisions locales demeurent soumises au contrôle de la Communauté française?
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